UN CLERMONTAIS CÉLÈBRE : RENÉ GINOUVES
René Ginouvès, un archéologue clermontais devenu célèbre
La plupart des clermontais connaissent la place où se situe l’immeuble dit « des pilotis » (aujourd’hui le C.C.A.S) mais cette place porte en fait le nom de « Place Auguste et René Ginouvès », père et fils nés à Clermont l’Hérault dont le fils René est devenu un archéologue internationalement reconnu et dont une grande école d’archéologie parisienne porte le nom.
Disons quelques mots sur le père de René, Auguste. Il était plombier de profession et était installé avec son frère dans la rue du Marché dans les années 20 (aujourd’hui le magasin Audran). Il était capitaine des pompiers et président du syndicat d’initiative. Il aimait parler le patois clermontais et pensait que son nom provenait d’un ancêtre vivant à Gènes en Italie (Génovese) !
Evoquons maintenant son fils René qui a pris une autre voie que celle de son père.
Sa jeunesse :
René Ginouvès est né à Clermont l’Hérault le 21 janvier 1926 et est décédé à Paris le 10 novembre 1994 quelques semaines après avoir pris sa retraite à la suite d’une maladie rhénale. Il est inhumé au cimetière de Clermont dans le caveau familial.
Né d’une famille clermontaise et fils unique choyé par ses parents, il fit ses études au Collège de Clermont où il passa son bac ou plutôt deux, durant la seconde guerre mondiale en 1943 avant de poursuivre ses études à Paris. Très jeune, il se passionna pour l’archéologie et fit ses premières fouilles autour de l’oppidum d’Ensérune avec l’archéologue Jean Jannoray.
Ses études :
Il obtint deux bacs la même année, le bac philo en juillet et le bac scientifique en septembre après avoir travaillé avec M Combes tout l’été.
A Montpellier, il a fait khâgne puis devint élève de l’Ecole Normale Supérieure où il fut reçu en 1945, promotion Pierrefitte. Il sera agrégé de lettres classiques en 1949. Il deviendra membre de l’Ecole française d’Athènes (école d’archéologie) de 1950 à 1956 où il conduisit des fouilles en Grèce, à Delphes…il avait une véritable passion pour la Grèce où il fouilla une grande partie de sa vie ainsi que sur l’ensemble du pourtour méditerranéen où il travailla. Il obtint son doctorat d’Etat en archéologie en 1959.
Sur le livret de distribution des prix du Collège de l’année 1941-1942, René Ginouvès fait parti des meilleurs élèves (voir illustrations). Chaque année, un livret de distribution des prix était édité (chez Rambal) avec à chaque fois le rappel des anciens élèves morts pour la France, la liste des membres du bureau d’administration du Collège, la liste du personnel et des enseignants, les félicitations du conseil de discipline, le tableau d’honneur et les prix d’honneur où René Ginouvès en classe de première cette année là, est arrivé premier de la classe dans toutes les matières ! Le principal à cette époque était M de Verninac. A noter que le Collège était mixte durant la guerre.
Le professeur :
Il était professeur d’archéologie et d’histoire de l’art antique, spécialiste de l’architecture grecque. Il fut l’un des précurseurs de l’application de l’informatique à l’archéologie. Il débuta son métier de professeur à Lille, Rennes, Nancy, au Québec et à la Sorbonne avant d’arriver en 1968 à l’université de Paris X-Nanterre comme professeur dans le département d’histoire de l’art et d’archéologie qu’il fonda avec d’autres confrères. Il fut directeur du centre de recherches d’archéologie classique à cette université de 1969 à 1989. Il fera partie du C.N.R.S et sera membre du comité des travaux archéologiques à l’étranger au Ministère des Affaires étrangères à partir de 1988.
Ses élèves le qualifiaient de « brillant », « enthousiaste », « généreux » et il n’hésitait pas à aider ses élèves dans leurs travaux.
Ses recherches :
Spécialisé dans la Grèce antique, il fouilla dans de nombreux sites archéologiques grecs (Delphes, Argos, Gortys d’Arcadie…). Au hasard de ses découvertes, il se spécialisa en architecture et plus particulièrement dans le domaine de l’eau dans les villes antiques (thermes, salle de bain hellénistique, réseau d’eau…). Il fit d’ailleurs ses deux thèses de doctorat sur ce sujet en 1959. Lors de ses fouilles, sa principale obsession était de trouver la salle de bain de la maison dixit son ami Pierre Demargne. Il participa durant 10 ans à des campagnes de fouilles sur l’île de Chypre à Soloi. Ce furent ses fouilles les plus importantes et sans doute les plus abouties. Il publia de nombreux articles sur ces dernières.
Il fut l’un des précurseurs à utiliser l’informatique pour ses recherches. Il imposa l’informatique comme un nouveau moyen de faire de l’archéologie. Il fut critiqué mais les progrès techniques faits aujourd’hui en informatique en matière d’archéologie lui sont dus en grande partie. C’était un farouche défenseur et propagateur de cette archéologie de l’informatique. Il fit partie des premiers archéologues à avoir reconstitué par informatique des objets antiques. Aujourd’hui, ceci est monnaie courante.
Lorsqu’il arriva à l’université de Nanterre, René Ginouvès y créa un laboratoire de sémiologie et informatique de l’archéologie classique. Ce centre de recherche fut ensuite associé au C.N.RS. Ce centre conduisit de nombreux projets auquel participa l’archéologue mais un des projets les plus significatifs fut le « Dictionnaire méthodique de l’architecture grecque et romaine », 3 volumes dont René fut co-auteur pour le premier volume, auteur du second mais qui ne vit pas le troisième publié étant décédé avant sa parution.
Ses distinctions :
Il reçu en 1953 la médaille de bronze de l’Académie d’architecture de Paris, fut membre de l’institut archéologique allemand et de l’institut archéologique à l’université de Princeton aux Etats-Unis, citoyen d’honneur de la ville d’Argos en Grèce, citoyen d’honneur de la société archéologique d’Athènes (1989), commandeur dans l’ordre des Palmes académiques et chevalier de la légion d’honneur en 1992. Que de récompenses pour notre compatriote !
La Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie (M.A.E).
Ce projet est né à la fin des années 70 du souhait de regrouper plusieurs laboratoires d’archéologie de la région parisienne et du développement des recherches en ethnologie et archéologie à l’université de Paris X à Nanterre. Eric de Dampierre y créa un département d’ethnologie tandis que René Ginouvès rassemblait des équipes d’archéologues. Les deux départements associèrent recherche et enseignement. Le C.N.R.S, marqua son intérêt pour le projet et apporta son appui.
Le bâtiment fut construit entre 1994 et 1996 et compte 7500m² répartis sur six étages : bureaux pour les chercheurs, salles de réunion, bibliothèques, centre de documentation, archives, salles d’expositions…
Cette M.A.E est le fruit d’une collaboration avec d’autres universités parisiennes qui ont mises en commun leurs moyens pour créer cette maison en son hommage en 1996. L’originalité de cette maison de l’archéologie est dans le fait de rassembler dans un même lieu des préhistoriens, des archéologues spécialistes de pays ou d’époque antiques, des ethnologues… En tout, dans cette maison, 20 laboratoires, 300 chercheurs regroupés.
Ce grand projet qui fut achevé après sa mort. La première pierre fut posée le 18 novembre 1994 soit 8 jours après son décès. Tout un symbole. Il avait préparé quelques jours avant son décès pour la pose de la première pierre, un texte que lu son épouse Lilly Kahil (archéologue également et professeur dans une université allemande) devant un public ému.
La M.A.E fut inaugurée le 19 mai 1998, elle est intégrée au Réseau National des Maisons des Sciences de l’Homme dès sa création en 1999.
Il disait à propos de cette maison « les oiseaux venant du campus se poseront sur cette maison et je souhaite que s’y retrouvent, venant de tous les coins de l’horizon, ces grands vols d’oiseaux sauvages, les libres envolées de l’esprit ».
Ses passions :
Il aimait faire des photos, des petits films avec son ami M Louis Soulanes de Saint-André de Sangonis qui devint réalisateur de films et fut connu grâce à la série télé « La caravane de Pacouli ». René fit la connaissance d’Agnès Varda lors d’un tournage avec qui il lia amitié grâce à Louis, qui fut l’assistant opérateur de la réalisatrice lors de son premier film en 1955 « La Pointe Courte ».
René était musicien et il jouait du piano et du clavecin et jouait parfois de l’orgue à l’abbaye de Saint-Guilhem-le-désert. Il aimait la musique classique et écoutait les vinyles de Beethoven, Bach, Mozart tout en travaillant.
Il avait pour autre passion en plus de la musique les belles voitures et eut comme première automobile, une Dyna-Panhard coupé.
Extraits d’hommages lui ayant été rendus après sa mort :
Pierre Demargne : Ami de René Ginouvès
(…) « J’ai eu le privilège de le rencontrer, à dîner souvent chez lui et Lilly Kahil, son épouse (ma femme et moi étions témoins à leur mariage). Nous nous sentions là au cœur vivant de l’archéologie, non pas qu’ils fussent semblables dans leurs travaux ni leurs méthodes de travail, mais la différence même créait et multipliait la richesse des approches et des résultats. S’ajoutait la présence d’autres invités, souvent étrangers, de la Grèce et du Proche-Orient naturellement, mais aussi du Canada ou des Etats-Unis où les avaient entraînés leurs amitiés et leurs thèmes de recherche. L’archéologie chez eux n’avait certes rien de vieillot, mais s’ouvrait sur la découverte et l’avenir. René Ginouvès conjuguait là comme en toute sa vie la connaissance et l’expérience de l’archéologie traditionnelle, humaniste si l’on veut, avec le goût des voies nouvelles qu’offrent les techniques de l’informatique » (…).
Jean Marcadé : ancien professeur de René Ginouvès :
Jean Marcadé était moniteur d’art à l’école normale supérieure et il était chargé de guider le travail des jeunes normaliens tentés par l’archéologie grecque, de les renseigner et de les conseiller. René Ginouvès faisait parti de ses nouvelles recrues. Ils sympathisèrent rapidement n’ayant que 6 ans de différence, et partagèrent leur passion commune pour la Grèce. De leur amitié, Jean Marcadé le fit parrain d’un de ses fils. Ils travaillèrent ensemble à Grèce à l’école française d’archéologie à Athènes ainsi qu’à la Villa Médicis à Rome.
« De son séjour italien, Ginouvès apportait un costume de bonne coupe, indice d’une coquetterie nouvelle, un merveilleux borsalino dont le vent du Pirée le décoiffa hélas avant même qu’il ne posât le pied sur la terre ferme ».
« Ginouvès avait le goût des belles autos ; un coupé décapotable fut célèbre parmi nous sous le pseudonyme de « ginouvine » et je me rappelle avoir poussé pour lui en pleine nuit sur la place de la Concorde à Paris une Citroën ID qui ne voulait pas démarrer ».
« René avait, en plus, pour préoccupation ce qui parut d’abord être un hobby, mais devint bientôt son cheval de bataille et finit par être l’objet essentiel de sa réflexion et le but de son ambition : l’informatique en archéologie. Il avait été séduit après la guerre par les nouvelles voitures et il avait envisagé de tourner des films (…) »
« Il aimait jouer du piano et n’hésitait pas en jouer devant ses « collègues » archéologues. »
Quelques semaines avant sa mort et malgré une santé défaillante, il entreprit son dernier voyage en Grèce avec son ami Jean Mercadé qu’il surnommait « Cadé ». Lorsque Jean lui dit de ralentir un peu son rythme de travail pour maintenir sa santé, René lui dit : « Je sais, Cadé, je sais,( me dit-il), mais il faut bien mourir de quelque chose »
Ses publications :
Il publia pas moins de 15 livres, de très nombreux articles et publications (une centaine) sur l’archéologie grecque (en particulier sur le thème de l’eau), des méthodes en informatique appliqués à l’archéologie et des comptes rendus de fouilles. Certains de ses ouvrages font toujours référence de nos jours :
« L’art Grec » qui fut traduit en plusieurs langues.
« Que sais-je ? » sur l’archéologie gréco-romaine.
« Dictionnaire méthodique de l’architecture grecque et romaine », 3 volumes dont René Ginouvès fut co-auteur pour le premier volume, auteur du second mais qui ne vit pas le troisième publié.
Ces publications privilégient l’architecture, le recours aux méthodes physiques et pour l’utilisation de l’informatique dans les recherches. Ce sont les axes privilégiés de sa réflexion et l’aspect le plus original sans doute de son œuvre de chercheur.
Liste de ses principaux ouvrages et publications :
Ouvrages
« L’établissement thermal de Gortys d’Arcadie », Paris 1959
« Laodicée du Lycos, le Nymphée » Québec-Paris 1969
« Le théatrôn à gradins droits et l’odéon d’Argos » Paris 1972.
« La constitution des données en archéologie classique » Paris 1978
« L’eau, la santé et la maladie dans le monde grec » Actes du colloque organisé à Paris, novembre 1992.
Articles
« L’archéologie et l’homme » article paru dans l’encyclopédie Universalis en 1985
« L’archéologie en Grèce » article paru dans le Guide Bleu de Grèce en 1977
« L’ordinateur au service de l’archéologie » Quebec Science 1971.
« Informatique et archéologie » article paru dans l’encyclopédie Universalis en 1980 et 1993
Il fit également des articles pour des revues étrangères : Etats-Unis, Pologne, Allemagne, Brésil, Angleterre, Canada, Espagne …
Extraits de ses ouvrages…
Sources des documents :
Site Internet de la Maison de l’archéologie et de l’ethnologie : http://www.mae.u-paris10.fr/
www.wikipedia.fr
Livret de distribution des prix du Collège.
« Clermont l’Hérault à travers ses rues », Blaise Gallego 1996
Remerciements : M Carnus et Mme Marie Ginouvès, Mme Anne-Marie Guimier-Sorbets
Patrick Hernandez , copyright www.clermontlherault.net 2012