Clermont l’Hérault et sa région, « Capitale du raisin » de table !
Durant l’été, Clermont et ses environs se transformaient en « capitale » française du raisin de table. Ce dernier a supplanté l’industrie drapière et a permit à la région clermontaise de survivre économiquement quelques décennies. Le terme de « capitale » était sans doute un peu exagéré mais Clermont et ses alentours pouvaient produire jusqu’à 1/3 de la production nationale de raisin de table.
En été, des expéditeurs, des groupeurs surtout de Catalogne s’ajoutaient à ceux vivant à Clermont, (Vidal, Fontz, Planas, Galtier, Maza, Bézayrie, Miro, Blanc, Carréres…) mais Nébian, autre capitale de raisins, attirait des files de coupeuse, trieuses ou emballeuses, et là, presque toutes les remises des rez-de-chaussée étaient pleines de personnel.
Les raisins, recueillis en corbeille, étaient soigneusement triés, débarrassés des grains secs, trop murs, des grains éclatés, et il fallait une certaine dextérité pour ne pas endommager la grappe, qui devait paraître intacte, et ayant conservé sa fleur, c’était le nom de l’impalpable poussière qui recouvrait le grain, et qui au moindre contact manuel laissait une auréole luisante de plus mauvais effet visuel. Les grappillons (petites grappes) étaient rejetées et vinifiées.
La grappe triée était transmise à l’emballeuse qui la posait dans le plateau que l’on avait bordé d’un support en papier festonné et aux couleurs de l’expéditeur, on achevait la mise en place par la « rivière » centrale sur laquelle on installait comme sur un trône 2 ou 3 superbes raisins il ne restait que l’amener au marché aux raisins, le confier à l’expéditeur – acheteur ou le confier à un transitaire ou groupeur, dans certains cas on le donnait à un mandataire aux Halles, qui tous les jours télégraphiait le prix de vente. Le matin, à la «fraîche» comme on disait, on avait coupé avec un premier tri pour débarrasser les grappes des grains tachés ou coulants, l’après-midi on emballait, au début ce fut dans des corbeilles, puis par la suite dans des plateaux, à un ou deux rangs qui avait l’avantage d’être superposables, alors que les corbeilles, exigeaient pour être surélevées la pose de liteaux en bois afin qu’ils ne glissent pas dans le wagon, mais surtout pour que les raisins ne soient pas abîmés pendant le transport.
C’était une activité extrêmement lucrative, un vrai pactole pour le Clermontais qui avait su devenir une des régions française ou l’on produisait le plus à la fois par l’importance de son marché aux Raisins ( début en 1934, interruption pendant la guerre et reprise après), la qualité de sa production, mais aussi par les capacités de transport données par la gare de Clermont, où partait chaque jour deux trains de wagons.
A souligner l’important effort de promotion que faisait le Syndicat d’initiative qui installait au bout des allées du Tivoli une station uvale où l’on pouvait déguster du raisin et boire du jus de raisin.
On commençait par le raisin précoce «La Madeleine», mi-juillet, puis le Chasselas on s’arrêtait pour les vendanges du noir (Aramon, Morastel, Hybride, Carignan) on recommençait le raisin par la noire oeillade (la bien nommée par la forme de son grain en amende) et on terminait par le Servent, en Octobre, on avait auparavant vendangé le Bourret Blanc et Cris et terminé par la Clairette, le tout s’étalant presque sans interruption jusque longtemps après la rentrée des classes qui était ouverte le 1er Octobre.
Il y avait d’ailleurs une tolérance de la part de l’instruction publique qui ne pénalisait pas les élèves attardés à rentrer et qui faisait un gros effort soutenu par leurs instituteurs attentionnés et soucieux de faire rattraper les enfants de pauvres. Pendant près de 15 jours pour ne pas pénaliser les retardataires on faisait des lectures, des révisions, enfin on meublait le temps.
Les vendanges à l’époque ne bénéficiaient pas des moyens mécanisés actuels, malgré les longues heures de travail et du temps consacré au transport pour arriver sur le lieu de récolte elles se déroulaient la plupart du temps dans une ambiance très particulière qui faisait oublier la fatigue et les conditions climatiques parfois très dures.
Les acteurs : Le charretier (Lou carratié) qui le matin amenait sur la charrette les comportes emboîtées les unes aux autres mais également les vendangeuses qui n’avaient pas de vélo. Le charretier transportait les 12 ou 14 comportes pleines à la cave de vinification (particulière ou coopératives) son retour était attendu impatiemment soit par les vendangeuses qui parfois manquaient de comportes vides mais surtout en période de canicule car il apportait la bonbonne d’eau fraîche, entourée d’un linge mouillé pour lui conserver la fraîcheur.
La Colle (l’équipe ou l’ensemble des vendangeurs) composé la plupart du temps de :8 coupeurs ou coupeuses (Copaidas) menées par (una ménaida) une meneuse qui était chargée d’être toujours devant pour stimuler la cadence, parfois lorsqu’elle se trouvait trop en avant elle recevait dans le dos une grappe de raisin lancée par une main inconnue à fin de calmer un excès de zèle, car parfois des vendangeuses aidaient les retardataires, la plupart des jeunes, parfois des enfants qui commençait à couper à l’âge de 8 ans, certains étaient également punis de la même façon quand, après avoir bénéficié d’un ou deux «dimanches» (c’est-à-dire de tous jeunes plants qui donnaient peu de raisins) se retrouvaient par inadvertance en avant de la «colle».
Lorsque les hommes découvraient dans une rangée des grappes oubliées, il y en avait toujours un pour lui barbouiller le visage avec l’objet du délit, mais il choisissait sa victime parmi les jeunes filles car c’était un moment de bonne humeur, on disait «faire la moustache». Imaginez les piaillements et les cris suscités par cette mésaventure.
Les raisins coupés avec un sécateur étaient recueillis dans un seau métallique autrefois «Lou farrat» quand il était plein on criait «Seau ou farrat» que venait prendre aussitôt le sorteur de seaux «Lou Banastou» (du nom de Banaste, Corbeille car en premier temps on récoltait dans des corbeilles en bois). Ce dernier vidait dans la comporte, qui pouvait en contenir de 8 à 10, à condition bien entendu de presser le raisin avec Lou quichaide (Le quicheur) un pilon en bois au bout d’une tige en bois, dans certains «colles» il y avait un «quicheur» soit un jeune enfant, soit un vieux vigneron, parfois le propriétaire.
La comporte (baquet en bois cerclé comme un fut de vin, avec une poignée en fer de chaque côté) une fois pleine, arrivait les deux «sémalaides» (porteurs) qui avec deux longues perches en bois «Lous sémailliers» qu’il glissaient sous les poignées, soulevaient la comporte pesant alors une centaine de Kg et la transportait en bout de rangée, pour la charger ensuite sur la charrette.
Ce déjeuner, première pause de la journée vers 8H30 environ, bénéficiait de la braise qu’avait préparé le charretier, ou le ramonet (le contremaître), et chacun y faisait griller son mets préféré (saucisse fraîche, côtelettes de mouton ou d’agneau, harencade «sardine salée» morue sèche, (Bacalao inglés), Morue (anglaise) séchée au vent, la préférée des espagnols qui la préféraient au jambon sec, s’y ajoutait des tomates, des oeufs durs, du roquefort ou du Table «nom usuel du Fromage de Cantal qui signifiait le fromage que l’on mange à table», Fromageons de Brebis.
Puis arriva le Plastique qui remplaça le fer des comportes et celui des seaux, ensuite ce furent les camions, les camionnettes, les tracteurs, les bennes, les brouettes manuelles – qui sonnèrent le glas des deux «sorteurs» et enfin la machine à vendanger qui supprime la totalité de la «Colle». Dans un seul endroit dans notre région on vendangeait avec une hotte que l’on portait sur le dos c’était à Villeneuvette au Domaine de Malmont.
Dans les grandes exploitations il y avait parfois trois «colles» qui vendangeaient dans la même vigne
Clermont l’Hérault et ses alentours, « Capitale » du Raisin de Table
Clermont fut longtemps appelée « Capitale du raisin de Table « . Cette appellation était un peu exagérée même si l’on considère que le tonnage transitant dans la ville était le plus important de France !! En 1955 la région Clermontaise fournissait 50.000 tonnes sur un total national de 360.000. La production couvrait 6.000 hectares. C’était dû à la qualité exceptionnelle de sa production, surtout basée sur deux qualités particulières, le Chasselas et le Servent qui à elles seules représentaient 75% de la totalité vendue. En dehors de leur qualité gustative très prisée leur récolte correspondait à deux périodes bien distinctes qui s’harmonisaient avec celle des autres fruits, le Chasselas en début d’été et le Servent en fin Septembre. C’est grâce au dynamisme Clermontais que cette production transitait dans notre cité, en effet des 1934, sous l’impulsion de M.M Bouchet de Bernard et Feriau , un premier Marché aux Raisins s’installa place de la Gare et sur les Allées des Soupirs (Mistral), d’autre part, des accords furent pris avec les Chemins de Fer du Midi (aujourd’hui S.N.C.F.) pour qu’un acheminent sur 30 villes françaises soit garanti pour une mise à disposition sur les marchés dès les premières heures. Le succès de cette organisation se concrétisa par le départ quotidien de deux trains,un à 14 h et l’autre à 19h. L’activité a nettement diminuée depuis les années 90 (en 1998 ne furent commercialisées que 1.286 tonnes). Quelques producteurs de raisins de table vendent encore leur production sur les marchés de Clermont et environs
Les raisons de cette baisse:
* la concurrence étrangère qui livra des raisins à gros grains qui plurent aux consommateurs et dont la production ne put s’adapter à nos terroirs.
* des prix de revient inférieurs au coût de production français .
* des productions arrivant sur les marchés à des périodes ou antérieures ou postérieures aux productions locales .
* L’exode rural national qui enleva le dynamisme naturel des jeunes. .
Les animateurs du raisin de table
En 1937, fut créé un Syndicat de raisins de Table pour organiser, la production, le conditionnement, la commercialisation, la promotion, c’est ainsi que fut installé une station uvale pour promouvoir le produit , en 1977 fut créé le Syndicat Interprofessionnel pour la promotion et la défense du raisin de table de la région de Clermont-l’Hérault (S.E.P.)
Antériorité de la production uvale à Clermont
En 1773, un fermier devait donner tous les ans à l’abbesse de Gorjan, 35 corbeilles de raisins d’un faix de femme. On récoltait alors du Muscat blanc, (ou Angeli) verdatres blancs, verdatres (surtout cultivés en treilles ) muscat blancs(séchés sur perches) raisins secs (dit passerilles), Oeillades (à cause de la forme du grain).
Vins : Production et Commercialisation
Le vignoble Clermontais est très ancien,nous en trouvons la trace en 1236 dans l’énumération des « Tierces », en 1393 elles sont maintenues au même taux,malgré la diminution des autres productions agricoles. En 1598 nous connaissons la superficie complantée en vignes et vignes avec oliviers, 657 séterés (164 ha)13,5%de la surface totale plus 98 ha ( 8,09%) avec oliviers. L’ouverture du port de CETTE (SETE) permettant d’accentuer l’exportation occasionne une progression importante de la production vinicole,c’est ainsi que le 5 Juin 1731 le gouvernement décrète l’interdiction de toute nouvelle plantation. Les vignobles étaient exploités également par des ouvriers,artisans,qui y trouvaient un gain supplémentaire mais aussi leur propre consommation.,le rendement était pourtant médiocre 14 h, 5 à l’hectare. Le dirigisme existait déjà car des experts décidaient des dates de vendanges en fonction du degré de maturité, les contrevenants voyaient leurs comportes ou corbeilles brûlées .On produisait surtout du muscat,rouge et blanc, vendu en 1674 dans les Cévennes, Rouergue et limitrophes, le Vin blanc, eau de vie, liqueurs (en Hollande,Hambourg,Suisse et Savoie qui à l’époque n’était pas Française)
Chiffres de production héraultaise
1808 : 71.000 Hectares
1849 : 104 hectares
1872: 15 millions d’hectos.
1875: 9 millions pour arriver à un désastre économique du aux maladies de la vigne en 1880 5 millions d’hectos pour 106189 Ha en 1966 on vinifiait 12 millions d’hectos pour 169000 hectares , car on avait vaincu le Phylloxéra.
Depuis ,avec l’exode rural et les nouveaux modes de consommation , les producteurs ont nettement diminué ( facilité par la prime à l’arrachage,) mais grâce à une évolution très bénéfique des jeunes viticulteurs qui ont opté pour une politique de qualité , la production s’améliore.
La Commercialisation du vin
Les difficultés rencontrées par la commercialisation des productions Clermontaises (Textiles Tanneries, chaussures,poteries) donnèrent l’occasion aux Clermontais de montrer leur dynamisme et leur étonnante capacité d’adaptation et de remise en cause, nombreux s’intéressèrent alors à une extension de la commercialisation du vin, mettant à profit l’apparition du Chemin de Fer qui avait fait son apparition à Clermont en avril 1863. Un nouveau quartier se construisit à proximité de la Gare (La Cité Molinier) des négociants y installèrent leurs chaix, et diversifièrent leurs éléments de commercialisation, Fûts (barrique, bordelaise, feuillette, muid (6OO L), foudre puis wagons citerne qui permirent la vente en vrac jusqu’au Camion-Citerne actuel. Certains de ces chaix sont encore visibles,le Foyer George Brassens, le Cinéma, l’entrepôt GUIBAL, la maison AYOT(Chicane) la maison LACOMBE ,la maison GINER, la maison Maurin Rue Lamartine, la maison Montagné Croix Rouge)et le seul survivant (les Ets Clovis SALASC). Il partait de la gare de CLERMONT 15 wagons-citernes par jour, mais des Négociants en faisait partir d’autres gares prés des lieux de production (Campagnan,VIAS, BEZIERS etc) l’importance des négociants du Clermontais leur avait donné une dimension régionale et même nationale . Aujourd’hui il ne subsiste que la maison SALASC ,la maison JEANJEAN à ST FELIX qui s’exporte à l’extérieur et une seule création l’U.C.C.O.A.R. à CLERMONT.
Ceux qui ont animé le Négoce du Vin
Nous n’avons pu remonter qu’en 1854, mais nous n’ y trouvons que des distillateurs et des vinaigriers, car le commerce du vin s’effectuait par des courtiers en vins ou des aubergistes ( dont un fut à l’origine d’un des plus gros négociant en vins de France Pierre GUIBAL)
1854: Distillerie : AYOT,BALP,HERAIL, VINAIGRIER/ GROS et SABLIER
1878: Distillerie : BALP RICARD Pierre, SUQUET J.P : Vinaigre SUQUET Négociant: BALESTIER Jules DELMAS Fils ainé,GUIRAUDOU B,MARQUEZ E. PAGES et FOBIS,E. DUPY, SUQUET J.P. et Cie.1896 RIQUET, A. FARGUES, GUIRAUDOU,J.BALESTIER,CARLES,BLANC ,POSTU B, M.VIALLES,AUDIBERT et MONTAGNE, GINOUVES,B.GONTIER,TRINQUIER Clément.
1900 Un Négociant originaire de SALASC, Emile SALASC vient s’installer à CLERMONT devenant de ce fait le chef d’une lignée de marchand de vins , la seule entreprise subsistante de tous ceux qui se lancèrent alors dans une aventure économique où l’on retrouvait le dynamisme Clermontais.
C’est ainsi que dans l’ immédiate avant guerre, celle de 1939 on pouvait recenser les noms suivants:
BLANC. ARNAUD.DUVIOLS.Denis GRANIER, Louis GRANIER et BRUGIER , Manuel GINER RAYNAUD et BELLIOL. Marcel LESTAGE,SALASC PARADO .BONY.MAURIN Hector, Clovis SALASC, HYACINTE, CROUZET Georges,SALASC Germain CARNUS,MONTAGNE,MANAL.BRINGAUD. LACOMBE ROUQUET et TARDIEU ,Alexis HENRYet Abel, Pierre GUIBAL., AYOT
En 1940 le Syndicat des négociants du Clermontais avait 23 adhérents 1942, on notait comme courtiers en vins, les intermédiaires entre les producteurs et Négociants:M.M. ALBE. GUERRE. Albert,LEOTARD Marius.DOMERGUE. Marcel,MEYRIEU,POUJOL .TAUSSAC Pascal.ROIG Jean ROUAUD,ENJALBERT, Robert VEDEL.
Notes :Les distilleries Clermontaises exportaient en Amérique de l’eau de Vie, que l’on baptisa » Eau de Feu » et furent une des armes qui permirent aux pionniers de l’ouest de vaincre les indiens.
Article de Blaise Gallego, corrections en avril 2020, p hernandez